Alcool au volant
Ma carrière de comédien-humoriste a officiellement débutée le 23 juin 1983. En effet, cette date correspond à la première de la pièce de théâtre « Old Orchard… connaît pas! » de l’auteur québécois Réjean Vigneault présentée au chic ski ranch de village de St-Gédéon situé sur le bord du majestueux Lac-St-Jean. Donc, si vous faites le calcul, ça fera bientôt 35 ans que je monte sur scène, que je joue au cinéma, que je me présente à la télévision comme comédien ou animateur et surtout que je pratique le beau métier du monde celui de vous faire rire ou de tenter de vous émouvoir. Tout ça est ben l’fun, mais a bien failli ne jamais avoir lieu. Je vous explique. Retournons en arrière. Au printemps 1983, je contacte un bon ami à moi, Gilles Larocque, un athlète, un champion de ski et un véritable acrobate en motocross car j’ai entendu dire que son magnifique kawasaki Mark II 1978 de 1000cc serait à vendre. Je n’en peux plus de le voir et surtout de l’entendre, je dis entendre, parce qu’il est le seul à Alma à posséder un échappement Yoshimura, ce qui lui donne une sonorité très particulière et surtout très personnelle.
Lorsqu’on entend cette musique et je vous jure qu’on l’entend de loin, c’est que Gilles Larocque s’est vient! Beau bonhomme, blond aux yeux bleus, un athlète vous l’dit! Je suis un peu jaloux! Tellement que j’me dis que s’il me vend sa moto, je devrai peut-être aussi populaire que lui. Cheveux blonds et yeux bleus en moins… Ô bonheur! Gilles me dit qu’il pensait justement la vendre et qu’il serait content de savoir que j’en serais le nouveau propriétaire.
J’achète la moto. La vie est belle. Je suis en pleine répétition d’une pièce de théâtre dont on vient de m’offrir le premier rôle et qui sera pour moi de toute façon mon premier rôle à vie. Mes cheveux frisés et mes yeux bruns me rendent quand même très populaire auprès des filles… je vais devenir un acteur et je roule à moto. Je vous l’dis. La vie est belle! Lorsque je dis je roule à moto, je dois vous spécifier que je l’achète le 15 mars et au mois de mars au Lac-St-Jean, il neige encore… vous ne me croyez pas que Marcel, mon meilleur chum, qui possède lui aussi un kawa 1000 m’accompagne presque tous les soirs dans des virées et qu’on est les deux seuls fous à sillonner les rues partiellement enneigées sur nos motos. Vous auriez dû voir la face des clients du bar chez Éliott sur la rue principale lorsqu’on entrait dans le bar avec 3 pouces de neige sur les épaules. À la fin de la soirée, lorsque les autres clients grattaient leurs vitres de char, nous on enlevait la neige sur nos sièges et on grattait les vitres de nos compteurs. Je vous l’dis, deux fous!
Fin avril, enfin de l’asphalte! On peut enfin rouler la poignée dans l’coin. Les rues ne sont pas nettoyées, c’est encore très glissant, mais c’est toujours mieux que de la neige. Si je vous raconte toutes les folies qu’on a pu faire pendant 3 mois entre le 15 mars et le 15 juin, vous ne comprendrez pas comment on a pu rester vivant. Aujourd’hui, quand je vois des jeunes et parfois des moins jeunes rouler en fou et prendre des risques je deviens enrager. Pourtant, r’garde qui est-ce qui parle!!! Le 15 juin 1983, je me rends au théâtre. Je viens de quitter la route principale pour m’engager dans la plus petite route sinueuse qui m’amène au ski ranch.
Je connais très bien les 12 prochains kilomètres, car je les parcours à chaque jour. Et ce, de plus en plus vite. Je connais chaque virage, je sais où freiner, où accélérer et je tente à chaque jour de battre mon record de la veille. La seule plus où je peux relaxer, c’est une fois le dernier virage à droite passé. Il me reste une ligne droite, une légère montée, suivi d’une légère descente, dernière ligne droite, freinage, théâtre! Aujourd’hui, il fait beau, les conditions sont parfaites, il n’y a presque pas de voitures, je vais battre mon record. Je vous l’dis, la vie est belle! À 150 km/h, je m’engage sur la montée, je vais trop vite, la roue avant se soulève, guidonnage, je n’ai plus le contrôle, la roue avant fouette de gauche à droite, je l’impression d’être assis sur un cheval fou pendant un rodéo, sauf que le cheval en question roule à 150 km/h… je vais laisser 350 pieds de trace sur l’asphalte, la moto va quitter la route et s’envoler. Je m’envole moi-même à la hauteur des poteaux de téléphone. Plus tard, la sureté du Québec m’informera que la moto s’est arrêtée 200 pieds après avoir quittée la route et que moi à 218 pieds on m’a retrouvé inconscient dans un marécage.
Heureusement pour moi, les quenouilles, la boue et l’eau ont agi comme un coussin qui a progressivement absorbé ma chute. Les médecins m’ont expliqué que si j’avais heurté un objet fixe durant mon vol plané, je serais simplement mort, car à 150 km/h ça ne pardonne pas. J’ai longtemps raconté cette histoire avec beaucoup de vantardise; comme un chevalier qui raconte avec fierté le dernier combat qu’il a remporté. Aujourd’hui, je la raconte parce que je n’en peux plus de voir qu’à chaque été on perd un nombre important de nos jeunes dans des accidents de la route. Et que ça me tue moi-même un p’tit peu à chaque fois. Il faut survire à notre jeunesse! Deux semaines après mon accident, Roger Côté, un grand chum à moi s’est tué sur la rue principale alors qu’il pilotait sa kawasaki…
Message aux jeunes : oui, l'acool et la vitesse tue!